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Observation, quand les gestes parlent…

Observation, quand les gestes parlent…

L’observation de l’individu, client, shopper ou consommateur, de ses comportements, de ses usages dans son contexte d’achat, de consommation, d’utilisation d’un produit ou d’un service, présente toujours un intérêt. C’est une méthode complémentaire à d’autres types de recueil de l’information.  Mais souvent elle n’est pas substituable au regard des informations uniques qu’elle offre… si l’on sait regarder et écouter.

Elle peut tout à fait répondre à une problématique expérience utilisateur spécifique, comme par exemple dans le cadre d’un Usability Test avec une démarche de shadowing ou encore être présente à des phases plus amont d’une innovation. Cela peut être le cas dans une phase plus exploratoire d’usages en faisant suivre l’observation d’un entretien d’explicitation. 

Des exemples d'observation... parlants

Notre pratique de l’observation a permis d’identifier de multiples avantages à cette méthode. En voici quelques exemples, liés à des problématiques d’innovation, de test de services, de comportement d’achat en point de vente.  

1. Une perception plus complète des usages, observer le non-dit

Nous réalisons régulièrement des observations in situ, donc en contexte. Parfois elles sont suivies d’un entretien d’explicitation de l’action observée. Il est toujours étonnant de constater l’écart entre la parole de l’individu interrogé et ce qui est constaté lors de l’observation. Demander à un consommateur de restituer son acte d’utilisation d’un produit et vous remarquerez les zones d’absence qui parsèment la mémorisation de cette action.

Or c’est parfois dans ces zones d’absence que se nichent les bonnes idées. 

Il y a quelque temps, une étude de comportement de consommation à domicile nous a permis de détecter chez certaines personnes âgées une réelle difficulté à ouvrir les bouteilles de jus de fruits. Et l’une d’elles utilisait d’ailleurs un gant de ménage comme une sorte de grip pour ouvrir cette bouteille. Cette problématique de préhension n’a jamais été énoncée lors de l’entretien d’explicitation qui suivait. Elle portait pourtant en elle l’optimisation ergonomique d’un bouchon plus large, cranté et ainsi adapté à la main d’un senior.

Au-delà de la stricte recommandation qu’elle conditionnait, cette observation est intéressante en deux points :

D'un point de vue méthodologique :

Elle attire l’attention sur la « force de l’habitude », force de l’habitude qui ne rend parfois plus conscience de l’acte.

 « Il semble que l’habitude ne se rencontre point avec la conscience bien plus qu’elle ne l’exclut. Quand une habitude est née, la conscience des actes qu’elle engendre n’est plus, et, tant que persiste la conscience des actes, l’habitude n’est pas encore » (1).

Et, de fait, la personne interviewée ne verbalise pas cette habitude alors que cette dernière peut renfermer en substance une possible innovation.

Tactiquement :

S’interroger sur les habitudes est une bonne source d’inspiration car c’est déjà une adaptation. Une étude des comportements sur le terrain est donc un excellent préalable à une recherche en innovation. 

2. Respecter la temporalité réelle de l’action, source d’inspiration

Dans les études marketing, la dimension temporelle est plutôt un préalable méthodologique pour déterminer un cadre horaire. En effet, la durée du recueil de l’information impactera la dernière ligne d’un projet, le budget. C’est, hélas, plus rarement une donnée libre déterminée par l’unique comportement du client.

Elle a pourtant toute son importance, notamment dans les problématiques de comportement d’achat. Il suffit de comparer le temps d’achat d’une coloration pour les cheveux et celle d’une bouteille de lait. Cela permet de déterminer l’importance d’un mode d’emploi bien écrit dans un cas et de la sémiotique chromatique du lait écrémé, du demi-écrémé ou encore du lait entier dans l’autre cas.

Elle est aussi primordiale dans les transports en commun où le respect des horaires est une preuve tangible d’une des qualités du service. Mais elle ne peut être réduite à cette seule dimension. Une étude de comportement sur une problématique de confort dans les transports a permis de rendre compte de la dimension également psychologique de cette notion.

Dans le cadre de cette observation, nous avons pu noter les conséquences du dysfonctionnement du message sonore n’annonçant plus les différents arrêts d’un bus. Un passager, novice de la ligne de bus, n’était donc plus dans une forme d’attention latente qui autorisait la lecture sereine d’un livre ou la consultation de ses mails. Au contraire, il était dans la consultation répétée des panneaux situés sur l’abribus pour ne pas louper son arrêt ou sa correspondance.

Ce qui est intéressant dans cette étude de comportement, c’est de pouvoir rendre compte de l’épaisseur du désagrément. Signifier une fois ce désagrément est une chose mais vérifier très (trop) régulièrement où l’on se situe dans son voyage en est une autre. Finalement, ce n’est pas un désagrément que subira le voyageur mais 15 désagréments, autant de désagréments que de stations « consultées » avant d’arriver à bon port.

Ce type d’observation nous pousse à réfléchir :

D’une part, sur la notion de « conduites temporelles »

Ici il s’agit d’une réaction à la durée de nos actes et notamment ici la répétition d’un même geste de réassurance, d’une même séquence multipliée sur le déroulé du voyage. Ces « conduites temporelles » intègrent certes l’attente, mais également la précipitation et enfin la persévération dans le temps. Et pour cette dernière conduite,« Le temps pendant lequel doit se prolonger une action est trop long par rapport au temps pendant lequel nous nous intéressons à l’action elle-même » (2).

L’attente ne doit pas être donc le seul rapport au temps pris en considération, la répétition d’une action sur la durée peut également être source d’inconfort.

D’autre part, elle nous pousse également à réfléchir sur la notion d’inhibition latente (3). 

Ce concept de psychologie expérimentale décrit une capacité à filtrer les stimuli, à prêter moins d’attention à ce à quoi on est habitué.  Quand le message sonore est présent, le cerveau enregistre bien l’information de localisation sans être gêné pour autant. Quand ce n’est plus le cas, le cerveau n’est plus dans le tri des influx sensoriels, bruits, images, mais dans la recherche d’une information supplémentaire, sa situation sur le trajet…

… et il perd une forme de sérénité dans le voyage, en découle un confort psychologique déficitaire.

3. L’impact du contexte dans le processus décisionnel d’achat

L’année 2022 signe en effet le retour de l’inflation de plus de 10 % pour les denrées alimentaires (4) et 7 % pour l’ensemble de d’économie (5). Ce début d’année 2023 confirme de façon catégorique cette inflation et impacte d’ores et déjà le choix d’enseigne pour certains.

« Dans ce contexte, 87 % des shoppers décident en magasin pour concilier leurs moyens et leurs envies. En effet, 66 % achètent davantage de produits lorsqu’ils sont en promotion. Cette dernière devient même le premier critère poussant à s’écarter de la liste de courses (62%) devant les oublis et les envies (59% et 56 % respectivement). Aussi 1 shopper sur 2 se montre plus vigilant aux informations pour optimiser et compléter ses achats » (6). On le voit donc, cette période incite les clients à modifier leurs comportements d’achat.

Ce qui nous intéresse ici, ce ne sont pas les clients prédéterminés sur une marque ou un type de produit en entrant dans le magasin. Les études de comportements menées par l’institut Phoebus dans le passé en point de vente montrent qu’ils sont dans un repérage des codes de marque. C’est, certes, aussi une autre question intéressante dans le cadre d’études in situ.  Mais ce qui nous intéresse ici, c’est plutôt de nous interroger sur le processus d’achat des clients indécis.

Changement d’enseignes, de points de vente, de produits, de marques… L’environnement de vente devient complexe et oblige les clients à se constituer une nouvelle grille de lecture du rayon.

Au regard de la complexité de l’environnement, il est primordial d’étudier ces nouveaux comportements dans la réalité d’un contexte de vente in situ. Cela garantit de disposer de toutes les dimensions qui caractérisent cet environnement et qui influent sur le comportement.

 Quoiqu’il en soit, la pratique de l’observation in situ relève d’une réelle expérience et expertise :

« … Noter ce que l’on voit. Ce qui se passe de notable Sait -on voir ce qui est notable ? Y a-t-il quelque chose qui nous frappe ? Rien ne nous frappe. Nous ne savons pas voir. Il faut y aller plus doucement… » (7)

L’ observation in situ : real people in a real world !

Hugues Daolio, fondateur de l’institut Phoebus Research, réalise depuis de nombreuses années des études qualitativesdes études de comportements et des études sémiologiques sur différentes problématiques et notamment des tests de packs, des tests de communication, des logiques de gamme, des concepts,…

Il enseigne par ailleurs la sémiologie, en Master 2 CESSA Consommation, culture, communication, Médias à l’université Paris Cité.

(1) L. Dugas – Revue Philosophique de la France et de l’Etranger – Tome 86 – p°116 – 135

(2) P. Fraisse et F. Orsoni – étude des conduites temporelles – L’attente in L’année psychologique 1955 vol 5 n°1 pp27-39

(3) Lubow, Latent inhibition. Psychological bulletin, 79, 1973

(4) Nielsen IQ et Iri

(5) Insee

(6) étude In-Store Média – méthodologie 2000 shoppers français en charge des achats pour leur foyer ont été interrogés en avril 2022 – panel représentatif de la population française, méthode des quotas.

(7) Georges Perec, 1974, p.70 in Espèces d’espaces

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