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Pourquoi le Livre blanc… est blanc ?

Pourquoi le Livre blanc… est blanc ?

Pas une semaine sans que je ne reçoive dans ma boite mail ou sur mon compte Linkedin une proposition de lecture d’un livre blanc. Pas étonnant que le sémiologue (curieux) que je suis se soit posé la question de cette désignation ! Un (petit) livre rouge, je vois bien…mais un livre blanc ? Pas de doute, c’est une question sémiologique à part entière.

Tout d’abord posons le contexte… la littérature grise

Un livre blanc fait partie de ce qu’il est convenu d’appeler la littérature grise. Eh oui, étonnant… On retrouve là une « littérature » produite par l’administration, l’industrie, l’enseignement supérieur, la recherche …Mais elle n’a pas de vocation à être diffusée au grand public (1).

Nulle coquetterie chromatique de ma part ! En effet, la très sérieuse Association Française de normalisation (AFNOR) a publié une définition qui confirme très officiellement cette désignation.

La littérature grise est « un document dactylographié ou imprimé, produit à l’intention d’un public restreint, en dehors des circuits commerciaux de l’édition et de la diffusion, et en marge des dispositifs de contrôle bibliographique (2) »

La littérature grise peut aussi être appelée littérature souterraine, fugitive, invisible ou cachée (en anglais: deepfugitiveinvisiblehidden ou grey/gray literature) – ou bien encore documentation parallèle ou web profond (deep web). (3)

Un livre blanc… blanc parce qu’avant tout, il n’est pas bleu.

Alors avant d’être un livre blanc, ce document n’est d’abord pas un livre … bleu ! Pour être plus explicite, il faut traverser la Manche pour comprendre les ressorts de cette désignation. L’expression « blue book » date du XVe siècle. C’est à cette époque que des grands livres qui regroupaient les archives du parlement du Royaume Uni étaient recouverts de velours bleu. Et, depuis, cette expression est restée car elle désigne encore des documents gouvernementaux outre-manche : rapports, compilation de données chiffrées et statistiques. De fait, le « blue book » fait bien partie de la « gray literature » !

Le livre blanc, l’origine … pas uniquement une histoire de couleur.

L’origine de cette expression vient donc du Royaume Uni. C’est la traduction du « white paper » qui en 1922, s’appliquait à des documents gouvernementaux dont l’épaisseur était insuffisante pour justifier de la forte reliure bleue habituellement en usage…le fameux « blue book » datant du XVe siècle. Dépourvu de cette reliure bleue, le document « white paper » était donc blanc et désignait par contraste chromatique des documents officiels moins épais…

L’usage institutionnel actuel … parfois un livre vert devenu blanc

L’usage institutionnel perdure aujourd’hui. On pourra prendre l’exemple de livres blancs rédigés par la Commission européenne. Ils contiennent un ensemble argumenté de propositions d’actions communautaires liées à un domaine spécifique,  préparées dans le cadre de comités consultatifs comprenant les membres de la Commission, des représentants des groupes d’intérêt et des administrations nationales.

…Il est intéressant de noter que, dans ce cadre communautaire européen, le livre « blanc » fait souvent suite à un livre « vert » ; ce dernier est un rapport officiel contenant des propositions, des idées qui alimenteront le débat lors d’une consultation publique. Le livre « blanc » est, quant à lui, plus argumenté et destiné à préparer les décisions politiques.

Un beau process sémiologique au service de l’entreprise aujourd’hui

Cet exemple est intéressant car, finalement, toute cette histoire part d’une épaisseur de document. En effet, la matérialité du texte, sa longueur, ne nécessitait pas cette reliure bleue liée aux volumineux textes officiels. De ce fait, on pouvait voir le « white paper » de la tranche ainsi laissée nue...

« Livre blanc », cette désignation souvent rencontrée dans nos métiers, se nourrit :

D’un sens historique

On peut comprendre en effet tout l’intérêt de cette expression à travers ce qu’elle revêt originellement et comment elle a pu se construire dans le temps :

  • un contenu officiel, un caractère scientifique, une parole experte pour un public qui l’est tout autant,
  • un point de vue qui alimente le débat, qui donne des perspectives sur une problématique donnée.
  • Elle peut même porter une dimension technologique qui nécessite un accompagnement pédagogique plus long mais qui respecte une certaine concision, inhérente au document.

D’une symbolique constante de cette couleur dans le temps.

La couleur blanche, car le blanc est bien une couleur – relisez Michel Pastoureau, porte en soi elle une symbolique riche et des valeurs connexes intéressantes pour qualifier les contenus de vos livres blancs : sagesse, innocence, pureté. Et de fait, ce white paper se nourrit des valeurs de la couleur blanche tout en contribuant à construire, en partie, la symbolique de celle-ci.

De fait, cette désignation offre la possibilité d’une démarche commerciale d’intérêt sans pour autant user de ficelles argumentatives trop grossières. Le livre blanc bien réalisé offre ainsi un crédit supplémentaire au propos… Quel document commercial n’aimerait pas être paré de toutes ces vertus ? 

… Et merci du temps de lecture que vous venez de consacrer à ce post blanc  !

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Hugues Daolio, fondateur de l’institut Phoebus Research, réalise depuis de nombreuses années des études sémiologiques sur différentes problématiques et notamment des tests de packs, des tests de communication, des logiques de gamme, des corpus de courriers,…

Il enseigne par ailleurs la sémiologie, en Master 2 CESSA Consommation, culture, communication, Médias à l’université Paris Cité.

Pour contacter Hugues Daolio : (+33) 09 86 10 35 56

  1. Joachim Schöpfel, « Littérature « grise » : de l’ombre à la lumière», I2D – Information, données & documents, vol. 52, no 1,‎ 2015,  28 
  2. AFNOR Le vocabulaire de la documentation (1986)
  3. Tessier, V. (2020).Littérature grise.

Voir  également  sur le sujet : Gordon Graham, White Papers For Dummies, États-Unis, John Wiley & Sons, 2013, 384 p. (ISBN 978-1-118-49692-3).

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