Le 1er Octobre 2022, un décret paru au Journal Officiel est entré en vigueur. Les produits à base de protéines végétales ne pourront plus être appelés « steak », « lardons » ou encore « saucisse ». Ce décret très attendu, est salué par les filières animales. « Il ne sera pas possible d’utiliser la terminologie propre aux secteurs traditionnellement associés à la viande et au poisson pour désigner des produits n’appartenant pas au règne animal », indique le texte en question. Les « denrées fabriquées ou étiquetées » avant cette date pourront toutefois être commercialisées jusqu’au 31 décembre 2023 au plus tard.
Les faits
Ce texte s’inscrit dans la loi « Transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires ». Cette mesure doit renforcer cette transparence et éviter toute tromperie du consommateur. Le cœur du débat public porte beaucoup aujourd’hui sur l’impact de ce décret sur la dénomination des steaks, saucisses, nuggets à base de protéines végétales et le fait de ne plus pouvoir endosser ces désignations.
Globalement, deux parties s’opposent :
- La FNSEA, professionnels de la volaille, grands syndicats des filières animales qui saluent ce texte voire invite le gouvernement à aller plus loin.
- L’ONAV (Observatoire National de l’alimentation végétale) regrette que le décret « place la France dans une position conservatrice, à contre-courant des enjeux actuels et de la politique européenne sur ces questions ». L’AFP reporte à ce propos que sur son site et sur Twitter, l’ONAV enfonce le clou en dénonçant un décret qui s’inscrit “dans une logique de protection des intérêts économiques de la filière viande.”
Le cœur du sujet
L’ONAV craint que cette décision entrave et retarde “ le développement de la filière végétale en France ainsi que la transition vers des alimentations plus saines et durables davantage végétales.”
Le propos de cet article n’est pas polémique mais s’interroge sur le choix étonnant d’imiter la viande pour faire manger des légumes.
Steak végétal : l’étonnante stratégie de la fausse viande pour vendre du vrai végétal
L’idée n’est pas de remettre en cause le bien-fondé des produits de la filière végétale notamment dans cette période de transition alimentaire. Nous nous interrogeons sur le choix de promotion de ces produits, celui qui consiste à imiter de la viande pour vendre des produits à base de protéine végétale.
Cette proposition végétale se présente comme une alternative à la viande mais se désigne comme telle et se « design(e) » avec des codes similaires. Il ne s’agit pas seulement de dénominations linguistiques mais également :
- d’un univers produit : forme, goût, dimension, discours lié à la cuisson à point, au produit cru, recettes liées à l’univers fast food…
- d’un univers graphique : représentations du produit mais également des recettes, …
Le principe du « même différent » annonçait, par avance, un débat contradictoire :
- Le décret en vigueur fait du « même différent » un délit de tromperie ;
- Les acteurs de la filière végétale font du « même différent une alternative frontale à la viande.
Ce choix tactique porte en substance les bases d’une discussion sur l’identité du produit. Il serait intéressant, ici, de citer Umberto Eco à propos :
« De discours qui croient dire /a/ pour suggérer /b/ ou de discours qui croient dire /a/ mais qui en fait devraient être interprétés comme /b/ ; ou encore de discours qui croient dire quelque chose et qui masquent leur propre inconsistance, leur propre contradiction ou leur propre impossibilité. » (1)
Cette proposition ne masquait-elle pas, si ce n’est sa propre impossibilité, une difficulté à venir ? Le décret entré en vigueur cette année officialise cette impossibilité. Il démontre la fébrilité des acteurs des filières animales. Le produit /steak végétal/ s’est installé, ce qui en soi participe à la transition alimentaire mais on n’a pas installé durablement sa désignation. C’est désormais un chantier à part entière.
Un retard du développement de la filière végétale suite à ce décret, difficile à évaluer.
Comme indiqué précédemment, l’AFP relayait une information de l’ONAV selon laquelle le décret était à rebours des préoccupations climatiques. Cet organisme écrit que cette décision “risque d’entraver et de retarder le développement de la filière végétale en France ainsi que la transition vers des alimentations plus saines et durables davantage végétales.”
Peu de publications scientifiques existent au sujet d’un tel impact, une étude de fond reste à mener. On notera toutefois :
- Un article de Malte Rödl – Doctoral Researcher, University of Manchester sur le site The Conversation qui souligne également qu’il « est aujourd’hui difficile d’évaluer les conséquences d’un changement forcé des noms ». Le même Malte Rödl expose toutefois que ces appellations relatives à la viande sont importantes car elles créent un sentiment de familiarité.
- et également un article paru dans Food Quality and Preference « Identification of new food alternatives: How do consumers categorize meat and meat substitutes ? ». L’abstract de cette étude qualitative basée sur les réponses de 34 participants donne une réponse assez claire à la question posée dans le titre :
Results indicated that categorization was largely influenced by the taxonomic classification of meat, so by categories that refer to the animal source like ‘pork’, ‘beef’ etc. Hence, meat substitutes were grouped separately from non-processed meat products. However, there were categories (e.g. ‘pieces’ and ‘sausages’) that contained both meat substitutes and processed meat products, as these products were perceived to be very similar.(2)
Déposséder ces produits végétaux transformés de leurs désignations relatives à la viande pourrait contrarier le sentiment de familiarité. Cela explique les craintes de l’ONAV mais ne nous permet pas de conclure catégoriquement à ce ralentissement. Il conviendra de rester attentif à l’impact que pourrait avoir un changement de désignation du produit sur les comportements d’achat.
Vers un nouvel imaginaire attractif de l’alimentation végétale
Ce décret prive la filière de l’alimentation végétale d’une stratégie de développement. Il y en a d’autres.
Cette stratégie du trompe l’œil est ancienne, c’est celle que nous utilisons pour amener nos enfants à manger de façon ludique certains légumes sous une forme plus attractive, et gustativement moins contrariante. C’est également celle que des chefs de renom utilisent pour innover en cuisine (3). Une démarche à la fois pédagogique, ludique et culturelle dans le cercle privé.
On retiendra surtout la dimension culturelle dans cette commercialisation de steak, saucisse ou nuggets végétales. Cette dimension culturelle tourne autour d’un univers de référence qui est celui de la viande.
Cet univers de référence a un double intérêt et un double travers :
– Créer une familiarité au produit transformé, pour l’intérêt. Le travers étant que cette viande végétale pour ressembler à de la viande affiche une très longue liste d’ingrédients -parfois plus de 20-, dont des additifs, preuve d’une ultra-transformation. Le magazine 60 Millions de consommateurs, spécialisé dans la défense des consommateurs a également relevé des traces de pesticides dans plus de la moitié des steaks végétaux analysés. Pire : trois références contiennent des molécules potentiellement dangereuses pour le système nerveux. (4)
– Créer une attractivité organoleptique, pour l’intérêt. Le travers étant que ces produits transformés donnent l’impression de manger de la viande. Une société recrée notamment la couleur et le goût de la viande. Impossible Foods, concepteur de viande végétale a opté pour un ingrédient peu connu : l’hème, qui donne visuellement ce côté saignant et présente également l’avantage d’en rappeler le goût, car contenant un atome de fer. Un ingrédient génétiquement modifié développé sous forme de levure par les ingénieurs cuisiniers de la marque.
Tous les steaks végétaux ne présentent pas cette version caricaturale. Mais cela repose la question d’une alimentation plus saine et plus durable. Cela pose la question de savoir ce que l’on aura réellement construit sur la durée en termes d’habitudes gustatives. Quelle déconvenue éventuelle le jour où la galette sera uniquement de blé ou de pois et où l’hème ne la rendra pas saignante ?
Le steak végétal annonce le début de la transition alimentaire mais son sédentarisme linguistique – désigner un morceau de viande – et son atavisme imaginaire – le sang – ne pourraient à eux seuls amorcer une réelle évolution.
En conclusion
Cela pose la question d’une réelle capacité à manger les aliments pour ce qu’ils sont et construire un récit positif, un imaginaire attractif de l’alimentation végétale.
Finalement, ce décret n’oblige t-il pas les acteurs de l’alimentation végétale à dépasser leur propre paradigme animal… à amorcer un chantier, certes plus difficile, mais plus fondateur de cette transition alimentaire.
Hugues Daolio, fondateur de l’institut Phoebus Research, réalise des études pour de nombreux acteurs de l’alimentation (industriels, producteurs, institution publique), sur des sujets divers : tests de concept, études exploratoires, pré-test de communications.
Pour contacter Hugues Daolio : (+33) 09 86 10 35 56